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Echos du village blogal
17 octobre 2004

La lobotomie commence à 20h

A quoi servent les journaux télé ?

On se l'inflige comme un pensum, on l'ignore avec mauvaise conscience. Le film du soir n'est vraiment savoureux qu'après cette séance de flagellation mentale, une sorte d'ersatz cathodique du Notre-Père avant de retourner pécher. Trente morts en Irak, un viol quelque part, une entreprise qui licencie. On s'apitoie sur le pauvre monde. Les résultats du foot dans le tas, quand même, parce qu'on veut bien se gaver masochistement de trucs sinistres, il faut bien rajouter une touche de crème dessus.

Hypothèse 1 : la mégalomanie de l'Homme blanc. Au fond, ça flatte notre ego d'Occidentaux indécrottablement persuadés d'être les adultes du monde, responsable de cinq milliards de gamins. Tout est de notre faute, les gars, à nous autres puissants Occidentaux si intelligents et méchants : si nous ne faisons rien, ayons donc le cran de le regarder en face ! Mon cul... Nous avons des responsabilités, certes, mais autant que les autres. Ca nous ferait mal au fond de reconnaître que nous n'avons pas prise sur tout, que des drames ont lieu qui ne nous doivent rien. Il y a pire encore que de sentir qu'on ne peut pas faire le bien : c'est de s'apercevoir que même le mal ne dépend pas de vous.

Hypothèse 2 : l'astuce marketing perfide. La société de consommation est d'abord une société de la frustration. Le bon consommateur est un consommateur insatisfait, anxieux, honteux. Ne consomme bien que celui qui a un vide à remplir. Pour nous transformer en rongeurs d'ongles hagards, tarabustés par d'inavouables résurgences instinctives, prêts à libérer leur manque et leur angoisse sur leur carte-bleue-bouc-émissaire, deux solutions.
La première, apparemment plus agréable, consiste à jeter sous nos yeux les corps magnifiquement dénudés d'éphèbes et de déesses aux postures équivoques, tout en semant le doute sur notre capacité personnelle à pouvoir jamais rivaliser avec ces idéaux épurés sous Photoshop. Pulsions libidineuses + angoisse de l'abandon = au secours, mon porte-monnaie ! Les multinationales de la petite culotte et les petits chimistes du savon au jasmin suffisent amplement à la tâche.
Deuxième solution : jouer la paranoïa. Voilà où le JT entre en scène. "Citoyens, citoyennes, nous vivons dans un monde de mort et de souffrance ! Le lot commun de cette humanité misérable, c'est la sueur, le sang et les larmes ! Vous vous croyez à l'abri, pauvres fous, mais votre petit univers de confort n'est plus qu'un îlot chaque jour plus menacé. Les islamistes sont à vos portes, vos propres enfants sont peut-être déjà vos ennemis et la prochaine bombe pourrait être pour votre vol vers Ibiza... Ce bonheur que vous avez bâti sur le malheur des autres (bon, ça coco, la culpabilisation) ne tient plus qu'à un fil ! Repentez-vous la fin est proche." Alors bien sûr, dans cette ambiance de chute de l'Empire romain, on est plus sensible à ces images rassurantes de gros 4 x 4 aux chromes doux comme une paire de seins, à ces gel douche qui font de vous un surhomme et à ces jus de fruits qui nous rendront enfin la joie à laquelle nous avons certainement constitutionnellement droit.

Osons le gueuler haut et fort, le poing serré sur une télécommande qui finira par rendre gorge de sa fourberie : nous n'avons rien à foutre de ce qui est raconté dans les JT ! Une fois notre mauvaise conscience soigneusement repliée en quatre et rangée dans un tiroir, regardons la vérité droit dans les mirettes : avons-nous besoin de connaître ce fait divers sordide commis à 700 bornes de chez soi ? Non. Tel quel, non. Rien à foutre. Une analyse sociologique du phénomène, une mise en perspective des causes et des solutions envisageables, OK. Ce serait plus chiant, mais plus utile au citoyen.
Avons-nous besoin de suivre le décompte des morts en Irak ? Non. Rien à secouer. Il meurt des gens partout, que je ne connais pas. Je ne peux pas me lacérer la poitrine et me verser des cendres sur la tête pour chaque mort violente. On n'en sortirait pas. Savoir si mon pays doit envoyer ses soldats là-bas, si le merdier a des chances de s'étendre et combien de fous furieux se sont inscrits en Brevet de Terroriste Supérieur à Bagdad depuis la chute du moustachu, d'accord. Mais la litanie des hélicoptères abattus aurait plutôt tendance à m'assoupir, à me caparaçonner d'indifférence culpabilisée. Ce qui est permanent devient vite normal et ce qui est normal acceptable...

Alors, marre de ce show d'actualité, ce grand-guignol de télé-réalité qui ne sert à rien ni à personne. Marre de ces pujadistes bidon qui prennent leur mine de conseil d'administration pour nous débiter le fil de l'AFP en images. Ca ne rime à rien, ce clip aléatoire de la violence mondiale, cette coucourse de journaleux gonflés d'importance à celui qui dira le premier ce dont tout le monde se fout. A la limite, je préfère encore le "dernier sabotier des Vosges" de ce populiste racoleur de Pernaut à la Pravda donneuse de leçon de l'hydrocéphale de France 2.

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Commentaires
N
Comme quoi, glandouiller sur le net peut être positif, tu sublimes ma soirée. J'adore <3
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